Histoire des bâtiments de Strasbourg
Après avoir hébergé l’École nationale d’administration (ENA) de 1992 à 2021, la Commanderie Saint-Jean est désormais le siège de l’Institut national du service public (INSP). Créé le 1er janvier 2022, l’INSP est le nouvel opérateur public français de référence pour le recrutement, la formation initiale et la formation continue des cadres supérieurs et dirigeants de l’État.
Situation géographique
Le quartier du Marais-Vert
Les bâtiments de l’INSP se situent dans le quartier strasbourgeois dit du Marais-Vert (en allemand Grüner Bruch, en dialecte alsacien Griene Bruesch), toponyme en relation avec le caractère marécageux du lieu depuis l’Antiquité.
À l’époque, les cours d’eau de la Bruche et de l’Ill ne sont pas encore stabilisés. Ces lieux sont donc peu propices à l’implantation d’activités humaines. Ainsi, malgré les traces d'activités gallo-romaines découvertes lors de fouilles archéologiques menées dans les années 1990, le site reste inhabité pendant plusieurs centaines d’années.
Le faubourg Sainte-Aurélie, propice à l'installation de confréries religieuses
Le quartier du Marais-Vert se situe plus précisément entre l'actuel Faubourg-National et le faubourg de Pierre.
À partir du Moyen-Âge, le faubourg Sainte-Aurélie (aujourd'hui Faubourg-National) compte parmi les plus importants de Strasbourg, avec le faubourg de Pierre et la Krutenau. Dès le XIIIe siècle, une fortification entoure le quartier, encourageant encore davantage l’installation d’établissements religieux.
9 siècles d'histoire
Le couvent de la Trinité | XIIe siècle
À la fin du XIIe siècle, des moines appartenant à la confrérie de Saint-Augustin fondent le couvent de la Trinité, dont les activités déclinent rapidement. Le site est alors laissé à l’abandon pendant quelques années.
Le couvent Sainte-Marguerite | du XIIIe au XVIIIe siècle
À proximité de l'actuel bâtiment de la Commanderie Saint-Jean, un second couvent est installé vers 1270, lors du transfert à Strasbourg de femmes appartenant à une communauté religieuse laïque, appelées les béguines. Elles y forment le couvent Sainte-Marguerite, aussi appelé couvent des Dominicaines, car elles suivaient la règle monastique de Saint-Dominique. Elles y restent même après la Réforme protestante (1524). Après la Révolution française, le bâtiment est utilisé en tant qu’hôpital.
La Commanderie Saint-Jean | XIVe siècle
En 1366, un riche banquier strasbourgeois nommé Rulmann Meerswin rachète et réinvestit les bâtiments du couvent de la Trinité laissés à l'abandon par la confrérie de Saint-Augustin, puis les confie quatre ans plus tard aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, un ordre religieux catholique créé à la période des croisades. C'est à cette occasion, donc au XIVe siècle que le bâtiment devient une commanderie (la Commanderie Saint-Jean), nom donné aux établissements appartenant à un ordre religieux et militaire.
Comme les magistrats de la ville adoptent officiellement, en 1524, le culte réformé (le culte catholique est abandonné pour le culte protestant) et que la guerre de Trente Ans éclate en 1633, on n'hésite pas à démolir une partie de l'édifice de la Commanderie Saint-Jean pour fortifier la ville.
Entre temps : l'un des bâtiments devient un hôpital pour syphilitiques | XVIe siècle
Au XVIe siècle, un hôpital pour syphilitiques est construit à l’emplacement du bâtiment aujourd’hui orné de peintures en trompe-l’œil.
On y soigne la syphilis, que les soldats du Roi de France, Charles VIII, importent à Strasbourg au cours des guerres d’Italie (1494 - 1559). À l’époque, la ville de Strasbourg est allemande, et on considère cette infection comme la maladie des Français, d’où l’expression de « Petite France » qui sert à désigner le quartier où les mercenaires malades étaient isolés. On assiste donc, à cette période, à l’apparition de petits hôpitaux spécialisés, prodiguant des traitements à base de flagellation, de décoction de bois de gaïac, et même de mercure – un procédé très éprouvant pour les patients, qui présenta une efficacité des plus limitées...
Bien que le bâtiment date en effet du XVIe siècle, les peintures en trompe-l’œil n’ont été réalisées qu’en 1987 par Edgar Mahler (qui a aussi décoré la façade de l’emblématique pâtisserie Christian située rue de l’Outre).
La prison Sainte-Marguerite | XVIIIe siècle
Après la démolition de la Commanderie Saint-Jean, le terrain n'est repris qu'en 1747 : la municipalité engage la construction d'une maison de force et de correction, pour répondre aux besoins liés à l'état désastreux des prisons médiévales qui se trouvaient alors dans les tours des Ponts couverts.
La particularité de cette prison, qui prend le nom de Sainte-Marguerite est que les prisonniers y purgent des peines assez courtes (1 ou 2 ans) et relatives à des délits mineurs. Il y a donc des cellules mais aussi, chose plus rare dans une prison, des dortoirs. Par ailleurs, les détenus sont en général employés à de petits travaux manuels : imprimerie, cordage et menuiserie pour les hommes, couture pour les femmes.
Ayant abrité jusqu'à 450 personnes, les locaux se vident petit à petit après la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1980, il n'y a plus que 250 détenus et le bâtiment est devenu complètement vétuste. Entre absence de lumière, humidité et exiguïté, les conditions de vie dans les cellules deviennent préoccupantes.
C'est à cette époque que l'ancien garde des Sceaux Robert Badinter prend en charge la question des prisons, qu'il veut notamment sortir des villes. Le sort de la prison Sainte-Marguerite en est scellé : elle ferme en 1988.
Transformation en école de service public
La Commanderie Saint-Jean accueille l'École nationale d'administration (ENA)
L’École nationale d’administration (ENA) est créée par l’ordonnance du 9 octobre 1945 par le Gouvernement provisoire de la République française, alors présidé par le général de Gaulle. L’École s’établit dans les murs de l’Hôtel de La Meilleraye, au 56 rue des Saints-Pères, à Paris.
En 1975, l’École nationale d’administration fait face à une première décision de délocalisation et est installée à l’Hôtel de Feydeau de Brou, situé au 13 rue de l’Université, qui vient alors d'être restauré. Les élèves de la promotion Michel de l’Hospital (1979) s’y installent.
En 1991, sous l’impulsion de la Première ministre Edith Cresson et dans un mouvement général de délocalisation de grandes écoles de service public en province, il est à nouveau décidé de déménager l’ENA. Cette fois-ci, l'ENA déménage à Strasbourg.
Le grand chantier de réhabilitation de la Commanderie Saint-Jean est alors lancé.
Un emménagement définitif à Strasbourg, symbole de décentralisation et d'ouverture vers l'Europe
Pendant treize ans, les activités de l’école sont organisées sur trois sites (rue des Saints-Pères, rue de l’Université à Paris et rue Sainte-Marguerite à Strasbourg).
La délocalisation de l’ENA à Strasbourg, initiée en 1991 par Edith Cresson, n’est achevée que lors de la rentrée 2005. La promotion Simone Veil (2005-2007), fut donc la première à effectuer l’ensemble de sa scolarité à Strasbourg.
Cette mesure, si décriée à l'époque, avait été prise pour favoriser à la fois la décentralisation étatique et l’ouverture vers l’Europe.
La réforme de l'encadrement supérieur de l'État : l'ENA supprimée, l'INSP s'établit
Le 8 avril 2021, le président de la République française, Emmanuel Macron, annonce une réforme de la haute fonction publique. Parmi les mesures annoncées figure la suppression de l’ENA.
L’INSP est créé le 1er janvier 2022. Il devient le nouvel opérateur public français de référence pour le recrutement, la formation initiale et la formation continue des cadres supérieurs et dirigeants de l’État.
Nouveau bâtiment inauguré en 2011
Quelques années après le regroupement de l’essentiel des activités de l’École nationale d’administration à Strasbourg, la construction d’une extension est entamée. Le bâtiment complémentaire, inauguré en novembre 2011, permet alors de regrouper l’ensemble des équipes sur un même site.
Cette construction de 3 500 m2 répartis sur 5 niveaux, conçue par l’agence d’architectes Patrick Schweitzer et associés, est reliée au site de la Commanderie Saint-Jean par une passerelle. Elle abrite principalement des bureaux, mais aussi des salles d’enseignement ainsi qu’un amphithéâtre de 96 places.
L’emploi de matériaux novateurs – volets orientables, panneaux photovoltaïques, toit et murs végétalisés – s’inscrit dans une volonté de préservation des ressources, tant sur un plan économique qu’environnemental. L’obtention du label « haute qualité environnementale » vient souligner cette démarche de développement durable.
Un engagement durable • ruches, mur végétal, panneaux photovoltaïques...
En juillet 2022, l’engagement de l’INSP pour la préservation de la biodiversité a été salué par l’Eurométropole de Strasbourg. En effet, l’établissement est signataire de la charte « Tous unis pour plus de biodiversité », déployée par la municipalité pour encourager tous les acteurs du territoire, gestionnaires d’espaces verts, à approfondir leurs mesures de gestion écologiques.
Dans ce cadre, l’INSP a été reconnu comme un acteur engagé grâce aux actions entreprises depuis plusieurs années :
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La toiture végétalisée et le mur végétal ;
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La réduction des arrosages des plantes et le paillage des sols ;
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L’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires ;
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La mise en place de ruches...
D’autres projets sont à l’étude ou devraient bientôt voir le jour :
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La végétalisation de la cour d’honneur ;
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La rénovation du mur végétal avec des espèces locales ;
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La mise en place d’une mixité d’espèces sur la toiture végétalisée...
Façade en trompe-l'œil
Sur la façade du bâtiment A, qui donne sur la rue Sainte-Marguerite datant du XVIe siècle, des peintures en trompe-l'œil ont été réalisées en 1987 par Edgar Mahler.
L’artiste-peintre sublime depuis près de 40 ans des façades d’immeubles dans toute la région. 120 façades en Alsace portent l’estampille Mahler, dont celle de l’emblématique pâtisserie Christian située rue de l’Outre à Strasbourg, celle du fameux restaurant étoilé L’Auberge de l’Ill à Illhaeusern ou encore celles de multiples commerces, winstubs et brasseries...
L’inspiration d’Edgar Mahler provient d’un peintre alsacien méconnu, Wendling Grapp, mais également des trompe-l'œil de l’architecture de la Renaissance, qu’il affectionne particulièrement.
Portail d'entrée
1,4 tonne de fer et de bronze : le sculpteur strasbourgeois Dominique Singer a façonné le portail d'entrée (de l'ENA à cette époque) en se souvenant « de cette porte au temps où elle fermait ce qui était encore la prison ». Comme pour favoriser le contact entre la ville et l’institution qui s’installe alors dans la capitale alsacienne, Dominique Singer a imaginé une porte « la plus transparente possible, pour que le seuil reste un sas ».
Des chaînes et clés ornent le portail, rappelant l’histoire du bâtiment. De part et d’autre de la grille, deux maisonnettes sont représentées : l’une s’effondre, quand l’autre se dresse. Un détail pouvant être interprété comme un clin d’œil à la citation de Victor Hugo « Construire une école, c’est fermer une prison » ?
Hall d'accueil
Le hall d'accueil est l'espace le plus fréquenté quotidiennement. Il est installé au cœur de la Commanderie Saint-Jean, classé monument historique en 1971.
Les photos de promotion
Les murs du hall permettent d'apprécier toutes les photos de toutes les promotions ayant suivi une scolarité en formation initiale à l'École nationale d'administration (ENA) depuis 1945 et jusqu'en 2021, puis à l'Institut national du service public (INSP) depuis janvier 2022.
Les noms de certaines promotions sont rentrées dans l'histoire :
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La promotion Vauban (1957-1959) dont Jacques Chirac a fait partie ;
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La promotion Voltaire (1978-1980), où l'on reconnaît François Hollande, Ségolène Royal et Dominique de Villepin ;
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La promotion Victor Hugo (1989-1991) où apparaît Jean Castex ;
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La promotion Léopold Sédar-Senghor (2002-2004) dans laquelle figure Emmanuel Macron ;
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Et, plus récemment, la promotion Germaine Tillion (2021-2022), première promotion à sortir diplômée de l'INSP.
Des vestiges d'occupation gallo-romaine découverts en 1989
Une vitrine placée dans le hall d'accueil regroupe des objets archéologiques trouvés lors des fouilles menées entre 1989 et 1991.
Ces objets témoignent de la longue histoire du site puisqu'ils ont permis la mise au jour de traces d’activités gallo-romaines. En effet, des restes de bâtiments construits sur pilotis, datant de 6 000 ans avant notre ère, attestent d’activités portuaires et d’échanges, signes de la présence successive de confréries religieuses vouées autant au commerce qu’à la méditation.
Clocher, fresque et horloge
Clocher
En levant les yeux, on observe, dans le hall d'accueil, un plafond voûté et un clocher, témoignages de l'ancienne chapelle de la prison.
La présence de cette chapelle, mais aussi à l’époque d’un aumônier catholique chargé de la fonction d’instituteur et d’un aumônier protestant, illustre le caractère rédempteur de l’organisation carcérale du XIXe siècle.
Plafond
On observe également une fresque, peinte au plafond.
Commandée à l'occasion de la rénovation de 1992, dans le cadre du 1% artistique, cette fresque illustre le mécanisme de l'horloge, qui a un jour rythmé la vie des détenus et symbolise aujourd'hui le temps qui passe.
L'horloge par le maître Ungerer
Le premier étage du bâtiment dispose d'une mezzanine. En s'approchant de la glissière, on découvre le mécanisme d'une horloge. Elle a été montée en 1861 par le maître Ungerer, ancêtre du célèbre illustrateur Tomi Ungerer.
Sculpture en bronze de Jivko
Allée Jacmel, sous la passerelle assurant la liaison entre le bâtiment historique et l’extension, une sculpture monumentale de 2,60 mètres a été installée.
Elle représente une femme, symbolisant d’une part la vocation et le rayonnement international de l’institution, et d’autre part la diffusion des savoirs. Son auteur, l’artiste Jivko, a intitulé son œuvre « Envol ».
Cette sculpture a été créée, là encore, grâce au dispositif appelé « 1% artistique », expression de la volonté publique de soutenir la création et de sensibiliser les citoyens français à l’art de notre temps. Il s’agit d’une procédure spécifique de commande d’œuvres à des artistes qui s’impose à l’État, à l’occasion de la construction ou de l’extension de bâtiments publics.